Entretien écrit #8 avec Jean-Marc Albiol
Avocat associé, Ogletree Deakins
Bio express
Expérience
- Avocat Associé, Ogletree Deakins (depuis mars 2017)
- Avocat Associé, Hogan Lovells (septembre 2004 - mars 2017)
- Avocat Associé, Fidal (décembre 2000 - septembre 2004)
- Avocat, EY (1998 - 2000)
- Avocat, Coopers & Lybrand (décembre 1995 - décembre 1998)
Formation
- DESS Droit et Pratique des Relations de Travail, Université Montpellier I
Quel a été votre parcours depuis votre sortie du DPRT ?
J’ai commencé (car je suis très vieux désormais) mon pré-stage, comme on le disait à l’époque, au sein des prestigieux cabinets Lafarge Flécheux Revuz et Rambaud Martel, qui étaient les cabinets français les plus réputés de la place (Jean-Pierre Martel était et est toujours l’avocat historique du Crédit Lyonnais, notamment dans ses contentieux avec Bernard Tapie), avant d’entamer une carrière éclectique au sein de tous types de cabinets. J’ai en effet passé les premières années de ma carrière, grâce à un contact du DPRT, dans deux cabinets d’avocats bras armés des « big four » (PWC et EY), puis Fidal, qu’il est inutile de présenter. J’ai ensuite rejoint Hogan Lovells qui est un des 10 premiers cabinets d’avocats mondiaux, où je suis devenu Associé et au sein duquel j’ai consacré 13 ans, avant de créer en 2017, le bureau parisien d’Ogletree Deakins, le seul cabinet mondial entièrement dédié au droit social, avec plus de 900 avocats qui se consacrent à cette matière dans plus de 54 bureaux dans le monde. En France, l’aventure est passionnante puisque nous avons démarré notre activité à Paris à 4 avocats, et avons, dans un esprit entrepreneurial et solidaire, développé notre propre cabinet. Une aventure bien longue à vous conter, autour de grands clients institutionnels français sur des problématiques complexes de restructurations, RCC, APLD, APC, RGPD, droit du travail de la fonction publique, protection sociale et contentieux complexes et sensibles. Le cabinet n’en est encore qu’à ses débuts ! Nous sommes déjà une équipe de 30 professionnels.
À l'époque, vouliez-vous être avocat ?
C’était effectivement une vocation à la fois en raison de l’intérêt de la profession et des différents sujets que nous traitons, mais aussi, et c’est une confession un peu intime que certains jugeront déplacée, en raison de l’image et du statut de la profession. Je suis issu d’une famille de la classe moyenne en province et c’était pour moi un accomplissement personnel de devenir avocat et de prêter serment dans une salle de l’ancien Palais de justice de Paris, chargée de l’histoire de la profession et d’y poser mes pas et ma voix très modestement dans la continuité des figures du barreau. J’étais honoré de pouvoir porter la voix de ceux qui le méritent ou qui ont simplement besoin d’être défendus. J’étais cependant (et je le suis toujours) extrêmement timide, et mes premières plaidoiries me mettaient dans des états terribles. Je me suis depuis bien habitué et j’ai fait aujourd’hui de ma timidité une force, en utilisant parfois même mes émotions pour faire transmettre de manière authentique le message que je veux porter (toujours avec beaucoup de détermination et d’engagement).
Pourquoi avoir choisi le droit social ? Avez-vous toujours voulu exercer dans cette branche ?
La passion, généralement, a une part d’inné et une part d’acquis, et dépend grandement de la manière dont elle est transmise. Ce qui m’a donné le goût immodéré de la matière c’est justement la manière dont elle m’a été transmise, à l’écoute de la parole du Professeur Teyssié par exemple, de la même manière, j’imagine qu’elle vous est transmise à l’écoute de la parole des Professeurs Cesaro et Duchange aujourd’hui. À l’issue du DPRT, vous réaliserez que, même si vous avez eu une prestigieuse formation (la meilleure formation française en droit social), vous aurez encore devant vous de nombreuses années, pour ne pas dire toute une vie, d’apprentissage et vous réaliserez intuitivement qu’on ne languit jamais des réformes qui sont légion. Chaque année nécessite, pour la profession, de réapprendre les fondamentaux. En outre, étant de nature « hyperactif », j’aime l’échange, le débat, la contradiction, non en ce qu’elle oppose, mais bien pour ce qu’elle crée : le débat d’idées et l’intérêt de s’y confronter. Pour cela, le droit social ne m’a jamais déçu.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?
Le droit social me passionne (je ne suis pas un tiède donc je parle de passion) ; je ne puis me contenter de me placer en simple observateur des grands mouvements sociétaux dans lesquels nous évoluons. Le droit, en me donnant les moyens de déchiffrer ces mouvements, et ces règles en profondeur, me permet d’agir, modestement certes mais d’avoir un impact. En effet, au-delà de la maîtrise des textes et de la jurisprudence, il est capital pour moi d’appréhender dans mon conseil les grandes tendances et évolutions du droit mais aussi l’état d’esprit, pour reprendre un terme qui revient souvent, « des parties prenantes » (juges, décideurs, organisations syndicales, etc.). En effet, je pense, et les puristes hurleront peut-être, qu’un bon juriste ne peut imposer son conseil, aussi fondé et juste soit-il, sans prendre en compte le mouvement, les changements et les tendances qui se profilent. Il nous appartient, par conséquent, que nous soyons avocats ou juristes, d’être un fin analyste et observateur des évolutions.
J’aime l’échange, le débat, la contradiction, non en ce qu’elle oppose, mais bien pour ce qu’elle crée : le débat d’idées et l’intérêt de s’y confronter
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Avez-vous eu des modèles dans la profession ?
Au risque de surprendre, je n’ai pas eu de figure « paternelle » ou « maternelle » par ailleurs dans la profession d’avocat. Sans doute étais-je trop rebelle pour l’accepter. Je me souviens en revanche de l’élégance, du brio et de la gentillesse de Christine Lagarde que j’avais rencontré en entretien à l’époque où elle dirigeait le bureau parisien de Baker & McKenzie. Un modèle et pas uniquement pour la profession mais aussi pour son engagement féministe. Un salut particulier également à Pascale Lagesse, une des grandes références et une des « grandes dames » du droit social. Au-delà, j’essaye de me tourner toujours vers le futur et je suis continument impressionné par la force, la détermination, l’humilité, l’ouverture au monde des nouvelles générations d’avocats. Je pense en droit pénal à Antonin Levy qui est déjà un grand du barreau. Je suis pareillement honoré de voir qu’en droit social la relève est déjà assurée par nombre d’avocates et d’avocats qui portent haut les couleurs du Master ; je pense à Benjamin Krief ou Krys Pagani par exemple.
Avez-vous eu des doutes au cours de votre parcours ?
J’en ai eu, j’en ai et je continuerai d’en avoir, mais je considère le doute comme un allié. Je suis un pur cartésien, et j’ai chaque mois, chaque semaine et chaque jour des doutes. Ai-je donné le meilleur de moi-même ? Suis-je à la hauteur de l’excellence, de la confiance des clients que j’accompagne, des confrères, magistrats avec qui je collabore ? Ce métier est extrêmement exigeant et nécessite une remise en question permanente si l’on veut contourner les obstacles et s’adapter au niveau
d’excellence attendu.
Quels sont les plus grands défis et difficultés de votre métier et de vos missions ? Comment les surmontez-vous ?
Ils sont légion, la concurrence des cabinets de conseils, le renouvellement permanent des textes, l’exigence, la précipitation et la vitesse du temps qui passe et qui ne permet plus le luxe des générations passées : la réflexion en profondeur. Je pense qu’une des seules manières de surmonter ces défis est de viser toujours l’excellence, qui requiert un investissement permanent, des heures d’études chaque jour, l’échange et surtout un travail d’équipe stratégique, basé sur la confiance. Les avocats qui pensent qu’ils peuvent tout résoudre seuls et qui jugent leur savoir exhaustif, n’iront jamais bien loin. Une constante remise en question sur notre environnement est indispensable et indissociable du métier, et elle ne peut se faire complètement sans d’autres personnes qui viendront compléter et questionner les idées et les décisions de chacun. La collaboration est au cœur de notre stratégie de réussite, et c’est notre complémentarité et solidarité qui rend notre cabinet unique, au-delà de ses paradoxes (cabinet à l’origine international mais intervenant quasi exclusivement pour des acteurs institutionnels français). Nous collaborons tous ensemble autour d’un même projet.
Quelles sont les qualités indispensables, selon vous, d’un avocat en droit social ?
La passion, la détermination, l’humanité et l’écoute.
Comment voyez-vous l’évolution du droit social et le rôle de l’avocat ?
Malheureusement, je pense que les prochaines années laissent augurer une certaine, et je m’excuse de ce néologisme, « commoditisation » du droit, qui fait référence au terme anglo-saxon de « commodities » consistant à traiter les choses comme de simples marchandises. Il nous appartient d’aller à contre-courant de ce mouvement en devenant des partenaires fiables de l’entreprise, en comprenant les besoins des juristes sociaux et en devenant leurs plus fidèles appuis et alliés.
Si vous n’étiez pas avocat, quelle profession auriez-vous exercé ?
Lorsque j’étais enfant et adolescent, j’habitais dans le Sud de la France, et je souhaitais ardemment entreprendre une activité bien entendu respectueuse de l’environnement : l’élevage de poissons. La société s’appelait les « poissons du soleil ». Elle existe encore. Son nom me faisait rêver et elle était la promesse, malheureusement déçue, d’une approche environnementale bienveillante.
Je suis un pur cartésien, et j’ai chaque mois, chaque semaine et chaque jour des doutes.
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En dehors de votre profession, quelles sont vos passions et vos centres d’intérêt ?
Mes centres d’intérêts reflètent mon goût pour la diversité et peuvent sembler contradictoires. J’aime beaucoup la nature, les jardins et la chanson française (ceci-dit sous toutes ses formes). Je suis également amateur de rap, qui représente pour moi la quintessence de l’expression d’une forme urbaine de la vie, représentant son mouvement à travers le rythme et le sens critique à travers les mots. Je suis passionné de rugby également, un sport qui fait référence à des valeurs qui me sont chères, et dont j’applique les préceptes : l’engagement, la droiture, la solidarité, la résilience, la souffrance, l’élégance, la dignité dans la défaite, et l’exubérance dans la victoire.
Comment l'exercice de ces activités s'articule-t-il avec votre exercice de la profession d'avocat ?
On n’a qu’une vie. Et les nuits sont de toute façon trop longues...
Dans 5 ans, où vous voyez-vous et comment voyez-vous Ogletree Deakins ?
Epicurien dans l’âme et pas uniquement dans le sens trop souvent vulgarisé, je donne le meilleur de moi-même en espérant l’avoir en retour, tout en acceptant l’imprévu et les difficultés. Carpe diem est ma devise. Je ne suis pas dans une logique de planification.
Je serais heureux de voir Ogletree Deakins devenir en France ce qu’il est dans le monde : le leader en droit social, toujours tourné vers de grands clients français et délivrant la quintessence de notre matière. Idéalement, j’aimerais continuer à m’entourer des meilleurs avocats français pour bâtir un cabinet idéal, où les membres sont déterminés et ont l’ambition de construire un projet commun. Si nous perdons ce combat, d’autres seront à mener, je ne me mets aucune pression. Il nous faut simplement toujours donner le meilleur de nous-mêmes.
Avez-vous un conseil à donner à la nouvelle génération de juristes en droit social ?
Vous n’en avez pas besoin car vous êtes aujourd’hui connectés, curieux, entreprenants. Soyez et restez vous-mêmes. Nous avons besoin d’un vent de fraîcheur et de vos talents. Continuez à questionner, avancer. Prenez des risques et surtout, si je peux me permettre, fuyez la passivité, agissez en acteur plutôt qu’en spectateur et ne vous résignez pas.
Un dernier mot ?
J’ai juré, en débutant cette interview, d’être le plus sincère et honnête possible, et j’ai la mort en terreur. Je voulais d’ailleurs écrire deux livres, un premier ouvrage sur « la main de Dieu » et un second sur « le dernier mot » qui renvoie à la dernière sentence que nous prononçons avant notre dernier souffle. Alors plutôt qu’un dernier mot, permettez-moi un premier mot de fraîcheur pour les nouvelles générations de DPRTistes, soyez entreprenants, soyez vivants, soyez résolus, on ne vit certes qu’une fois, mais l’avenir vous appartient, l’avenir nous appartient !
On n’a qu’une vie. Et les nuits sont de toute façon trop longues...