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Entretien #1 avec Maître Krys Pagani

Promotion Bouygues & Avocat Associé Alkyne Avocats

Bio express

Expérience

  • Avocat Associé, Alkyne Avocats
  • Co-créateur du Cercle K2

Formation

Publications
Ouvrage

Derniers articles (2018)

  • "Décompte des effectifs dans les établissements publics employant des agents de droit privé et de droit public", La Semaine Juridique - Social, 2018, 1346
  • "Comité d'entreprise et règles de mise en concurrence ", La Semaine Juridique - Social, 2018, n° 21, 1176
  • "Participation aux résultats dans le secteur public", La Semaine Juridique – Social, 2018, n° 14

Entretien réalisé par Tahani Amraoui et Benjamin Bedouet.

Tahani Amraoui : Quel a été votre parcours depuis votre sortie du DPRT ?

Krys Pagani : Mon parcours s’explique principalement par des rencontres.

La première, fondamentale, est celle avec Philippe Rozec (aujourd’hui à la tête du département droit social du cabinet De Pardieu Brocas Maffei et président de l’association des anciens du DPRT, ndlr) auprès duquel j’ai effectué mon stage final de Master 2. Mon projet d’alors, comme de nombreux étudiants de 22 ans, était de partir un an à l’autre bout du monde pour voyager et améliorer mon anglais. Mais j’ai très vite eu le sentiment que Philippe pourrait beaucoup m’apporter tant professionnellement qu'humainement. C’est pourquoi, lorsqu’il m’a proposé de rester après mon stage, j’ai accepté. Vous constaterez très vite que la vie professionnelle réserve bien des surprises et des retournements inattendus. Ce recrutement a pris la forme d’une thèse CIFRE, dirigée par le Professeur Teyssié, sur un sujet un peu atypique : la relation entre le sport et le droit du travail.

La deuxième rencontre est plutôt un ensemble de rencontres et d’échanges avec des avocats spécialisés dans d’autres branches du droit. Ces échanges m’ont permis d’appréhender plus concrètement que le droit social n’est qu’un compartiment d’un ensemble plus large qu’est le droit des affaires. C’est avec certains de ces confrères que j’ai fondé, en 2014, le cabinet Alkyne Avocats au sein duquel je dirige le pôle droit social.

Benjamin Bedouet : Avez-vous d’autres activités ?

KP : Oui, et c'est essentiel pour moi. Je dispense des cours, notamment à Assas, Evry, Montpellier, Poitiers et Mulhouse mais aussi à Pré-barreau (formation privée pour la préparation au CRFPA, ndlr) où j’ai l’occasion d’être en contact, chaque année, avec plus de 500 étudiants spécialisés en droit social, formés dans toutes les universités françaises. Cette diversité de profils et de formations est extrêmement enrichissante. C’est d’ailleurs par cette voie que j’ai fait votre connaissance Tahani ainsi que d'autres étudiants de votre promotion. Je m’occupe également d’une organisation, le Cercle K2, que j’ai créée en 2013.

TA : Le Cercle K2 est une organisation très dynamique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

KP : C'est une organisation que nous avons créée avec trois amis, Kevin Dumoux, Jean-Michel Icard et le Général Jean-Pierre Meyer (aide de camp du Président François Mitterrand de 1988 à 1991 et ancien directeur du Comité Interministériel du Renseignement au Secrétariat Général de la Défense Nationale, ndlr)

Le Cercle K2 est aujourd’hui une organisation internationale qui regroupe plus de 1.000 membres présents dans plus d'une trentaine de pays. C’est un lieu d’échanges pluridisciplinaire, international et intergénérationnel. L'objectif est de décloisonner les savoirs et les disciplines, de sortir des silos dans lesquels nous nous enfermons trop souvent pour recréer du lien entre les individus. Les membres sont issus de milieux extrêmement divers (universitaires, monde du renseignement, militaires, sportifs, musiciens, chefs d’entreprises, avocats, artistes, écrivains, etc.). Le K2 m'a ainsi permis de faire des rencontres exceptionnelles. Je pense notamment à mes amis Célimène Daudet, grande pianiste, et Raphaël Rodriguez qui dirige l'équipe "Chimie et biologie du cancer" à l'Institut Curie.

BB : Pourquoi cette appellation ?

KP : Parce que le K2 évoque le deuxième sommet le plus haut du monde, réputé comme étant le plus difficile à gravir. Il renvoie donc à l'exigence et au fait que le collectif permet bien souvent d'accomplir des objectifs que, seuls, nous ne pouvons pas atteindre. Car on ne gravit jamais seul le K2 ! Il ne reste d'ailleurs plus qu’un seul alpiniste français vivant à avoir réussi l’ascension. Pour l'anecdote, c’est l’un des grands défis encore à réaliser pour l’explorateur Mike Horn, pour ceux qui le connaissent.

BB : Nous avons également vu que vous aviez créé une société avec Fanny Renou, une ancienne étudiante du DPRT de Montpellier. Pouvez-vous nous en parler ?

KP : Nous avons en effet créé, il y a maintenant un an, Allyteams avec Fanny Renou (avocate au sein du cabinet BRL Avocats, ndlr) et deux amis communs : Kevin Dumoux et Daniel Narcisse (Double champion olympique, quadruple champion du monde de Handball et élu meilleur joueur du monde en 2012, ndlr). Elle a pour objet de connecter les sportifs ou anciens sportifs de haut niveau avec des entreprises via une plateforme digitale. Nous ont déjà rejoints plus de 1.500 sportifs, répartis dans toute la France, tels que Laurent Jalabert, Willy Sagnol, Paul-Henri Mathieu ou encore Sidney Govou. Je suis très heureux de participer à cette aventure.

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TA : Nous avons lu que vous aviez été auditeur à l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice. Pouvez-vous nous dire en quoi consiste cette formation assez atypique pour un juriste en droit social ?

KP : Il s’agit d’une formation qui se déroule à l’École Militaire et qui réunit, pendant une année, une semaine par mois, des cadres dirigeants de la sécurité (commissaires divisionnaires de police, colonels de gendarmerie mais aussi cadres du secteur privé) de la justice et de la défense. L’idée est de faire réfléchir ces personnes sur des sujets relatifs à la défense nationale, la sécurité et la justice en mutualisant les compétences et les regards souvent très différents du fait de nos expériences. De nombreuses conférences sont proposées aux auditeurs pour mieux appréhender les menaces et les enjeux contemporains et plusieurs voyages d’études organisés au cours de l’année. J’ai ainsi eu l’occasion de visiter les institutions européennes à Bruxelles et La Haye et d'aller en Algérie.

BB : Comment intègre-t-on cette formation?

KP : Par arrêté du Premier ministre. Vous trouverez toutes les informations sur le site de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice.

TA : Avez-vous eu des doutes au cours de votre parcours ?

KP : Oh oui ! J'ai même l'impression parfois de n'avoir que des doutes. Mais c’est aussi le doute qui permet d’avancer, d'éviter de s'engager trop rapidement dans une voie et de garder son équilibre. La thèse sur le doute du Professeur Cesaro (Le doute en droit privé, ndlr) a d’ailleurs été en haut de la pile de mes lectures de thèse durant plusieurs mois. Je vous la recommande vivement. Une phrase de sa thèse me revient : "Celui qui affirme s'expose, celui qui convainc l'emporte".

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Ce qui me plait dans mon métier, c'est la liberté qu'il me procure [...] Être maître de son temps n'a pas de prix.

BB : Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre métier ?

KP : La liberté qu’il me procure. Même si je sais qu’il est de plus en plus difficile de l’exercer dans de bonnes conditions, j’ai de mon côté la chance de pouvoir rythmer mes journées. Être maître de son temps n'a pas de prix. J’ai évidemment des contraintes et des obligations au quotidien mais elles sont le résultat d’un engagement que j’ai pris. Je profite de votre question pour dire qu’il y a 1001 façons d’exercer ce métier. C’est dommage de rencontrer de jeunes juristes qui disent ne plus vouloir devenir avocat parce qu’une expérience les a dégoûtés du métier. Je ne juge aucune manière de l’exercer mais elles sont toutes très différentes et certaines ne conviennent pas à tout le monde. Il est donc important de bien se connaître afin de déterminer la meilleure manière d’exercer cette profession qui est appelée à beaucoup évoluer dans les prochaines années.

TA : Avez-vous des modèles dans la profession?

KP : En droit social, Philippe Rozec, qui a eu une infinie patience et gentillesse avec moi lorsque nous avons collaboré il y a quelques années. J'admire sa capacité à fidéliser les talents. Je pense notamment à ma camarade de promotion et amie Isabelle Dauzet mais aussi à Sandrine Azou et Vincent Manigot, trois anciens du DPRT. J'ai aussi beaucoup d'admiration pour les grands pénalistes. J'ai récemment eu l'occasion de plaider du côté de la partie civile aux assises. L'un des accusés était défendu par Éric Dupont-Moretti. J'avoue avoir été impressionné par sa plaidoirie et, plus généralement, par son relâchement au cours des débats. Toutefois le plus important est d'exister par soi-même avec ses forces et ses faiblesses. Il faut donc faire attention aux références ou aux modèles. On est souvent déçu. Être authentique est le seul moyen d’être et donc de durer.

BB : Dans 5 ans où vous voyez vous ?

KP : Je suis incapable de vous répondre. Je vois assez bien l’évolution qui pourrait être celle des institutions au sein desquelles j’exerce des responsabilités comme mon cabinet ou le Cercle K2. S’agissant du K2, nous souhaitons nous développer davantage à l’international. Nous sommes déjà très présents en Europe, à New-York, Hong-Kong ou encore Montréal. Pour le reste, les choses basculent tellement vite dans un sens ou dans l'autre. En ce qui me concerne, je ne veux pas être négatif, car je suis résolument optimiste, mais j’ai perdu en 2016 l’un de mes associés, grande figure du droit public des affaires, d’une maladie fulgurante. Il avait 50 ans. Au delà de la peine de la perte d'un proche, j'ai ressenti que tout peut basculer très vite et qu'il faut donc rechercher l'essentiel. Je préfère donc avancer pas à pas et prendre du plaisir dans les activités qui sont les miennes qu'elles soient professionnelles, d’enseignement, associatives et personnelles.

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Je n’ai pas de conseils à donner puisque chacun à des expériences et un parcours différents. Seul le travail compte et l'acceptation que toute construction prend du temps.

TA : Quels liens entretenez-vous encore aujourd’hui avec le Master DPRT ?

KP : Le Professeur Cesaro me fait l'amitié de me proposer chaque année d'intervenir au sein du DPRT de Paris 2. J'interviens également au sein du DPRT de Montpellier. Par ailleurs, j’ai souhaité, à mon tour, faire bénéficier un(e) étudiant(e) du DPRT de la possibilité de réaliser une thèse et c’est la raison pour laquelle j’ai été très heureux d'accueillir il y a deux ans, via une convention CIFRE, Mélody Pellissier. Je propose aussi à des étudiants du DPRT de participer à un programme de conférences en petit comité (Parcours K2, ndlr) organisé par le Cercle K2 à destination de jeunes professionnels issus de Grandes Écoles ou de formations universitaires. Nous avons eu récemment comme intervenants Gaspard Gantzer (ancien conseiller communication de François Hollande, ndlr), Mathieu Nebra (fondateur d’OpenClassrooms, ndlr), Célimène Daudet (pianiste, ndlr), un ancien directeur de la DGSE et nous aurons d’ici les prochaines semaines un ancien tennisman qui a figuré parmi les 15 meilleurs joueurs mondiaux. Il me semble important que les étudiants du DPRT s’ouvrent et s’étalonnent à des étudiants ou jeunes professionnels issus de filières très différentes.

BB : Avez-vous un conseil à donner à la nouvelle génération de juristes en droit social ?

KP : Je n’ai pas de conseils à donner puisque chacun à des expériences et un parcours différents. Seul le travail compte et l'acceptation que toute construction prend du temps. Je constate néanmoins qu’il est essentiel pour tout juriste en droit social d’avoir conscience que la spécialisation est utile mais qu’elle ne doit pas se faire au détriment d’une compréhension globale du droit des affaires et, plus largement, des systèmes juridiques français, européen mais aussi international qui entrent désormais constamment en interaction et parfois se trouvent en situation d'interpénétration. À défaut de réaliser cet effort, je crains que la prédiction de ceux qui prétendent que l'intelligence artificielle supplantera le juriste ne se réalise. Mais le pire n'est pas toujours certain.

Au-delà du droit : oser, agir avec cette juste dose d’audace pour savoir saisir les opportunités, voire les créer. "Qui ose gagne", disait Churchill…

TA : Un dernier mot ?

Merci.

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